A Literary Tour de France
1. 341 Mossy to the STN, December 25, 1771

 

 

A Marseille le 25 décembre 1771

MM. les Éditeurs de Neuchatel                                   

 

 

Messieurs,

 

Je dois une réponse à l'honneur de vos trois lettres des 25 mai, 2 octobre et 11 novembre derniers.  Vous êtes peut-être surpris de mon peu d'empressement à répondre aux offres obligeantes que vous me faites, mais je ne vous cacherai pas que je suis bon français, et que j'aime ma patrie; que je n'aime guère à favoriser ces entreprises qui peuvent nuire à mes compatriotes, voilà en partie la cause de mon silence.  D'ailleurs je suis fabriquant moi-même; et cette position ne me permet guère d'acheter à l'argent.  Mon principal commerce est en change; et aujourd'hui que la porte m'est, pour ainsi dire, fermée, par rapport au droit imposé sur les livres venant de l'étranger, vous sentez bien que je ne saurais preter les mains à remplir mes magasines, qui le sont déjà assez pour garder les marchandises chez moi.  Vous me direz peut-être que j'ai la voie de la mer; mais où les vendrais-je?  Ce ne sera pas en Italie, ni en Espagne, et je ne puis militer avec les Venetiens, surtout aujourd'hui où nos fabrications françaises sont chargées d'un impot.  Il m'est donc essentiel de me ranger du côté de mes compatriotes.  Mon détail ici n'est pas d'une nature à me faire un sommer  des nombres; ainsi vous devez juger par là que la France, en mettant un impôt sur les marchandises venant de l'étranger renonce au commerce étranger, et que vous allez profiter de tous nos débouchés, cela est clair; mais que puis-je y faire?  Si ce n'est que soupirer.  D'un autre côté l'impot que l'on a mis sur la matière  première de notre fabrication, a exigé du moins que nous ne perdissions pas toute la conformation intérieure et extérieure; et dans les grands maux, il faut quelque fois des remèdes qui derangent la machine, mais qui conservent au moins le malade.

La crise est violente pour nous, j'en sens tout le poids en mon particulier; mais j'aime ma patrie, et quoique simple particulier et dans le commerce, c'est ma façon de penser.

Vous avez eu une bonne idée de contrefaire en in 12 le voyage de M. Bougainville.  Vous devez vendre cet ouvrage.  Surtout dans sa nouveauté j'avais conseillé à mes [bons amis] les MM.. Saillant et Nyon d'en faire une édition de ce format; je présumais bien qu'on ne laisserait pas cet ouvrage en repos, vous l'avez fait, et vous en profiterez.  Je souhaite que votre société prospère, les savants qui la composent sont en état d'en conserver la réputation.  Mais je suis faché que nous ne puissions nous arranger.  Nos idées ne sont pas les mêmes, vous voulez imprimer et vendre tout de suite; c'est la meilleure façon, mais en France, nous ne saurions faire de même; chacun a ses privilèges; et pour vendre, il faut nous assortir; nous le faisons par ce moyen des échanges; et il y a apparence que ce n'est pas là votre genre.

J'ai l'honneur d'être avec la plus parfaite estime,

Messieurs,

 

Votre très humble et très

obéissant serviteur

J. Mossy

 

 

                       

 

 
Date: 
Wed, 12/25/1771
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