A Literary Tour de France
259. Lépagnez Cadet libraire à Besançon. Ms. 1174.

Lépagnez Cadet libraire à Besançon. Ms. 1174.

Pontarlier, le 30 juin 1783,

 

Monsieur,

Les marques de bonté que vous m’avez données pendant mon séjour en votre ville m’ont décidé à vous adresser particulièrement cette lettre, moins pour vous faire les remerciements d’usage, que vous dire que depuis hier midi, je me porte beaucoup mieux et que j’ai lieu d’espérer en être quitte pour la peur. En vous donnant des marques particulières de ma confiance, il est bien malheureux pour moi qui, après avoir réussi dans les efforts que j’ai fait pour obliger votre maison, je me retrouve encore par hasard comme […] obligé de lui annoncer une nouvelle peu agréable. Voici le fait.

Hier soir à 10 heures et demie en rentrant dans mon auberge, je ne fus pas peu surpris de voir entrer en ma chambre M. Fenouillet suivi d’un autre monsieur que je ne connais pas mais qui me parut très prudent, l’un et l’autre m’apprirent ce qu’ils avaient fait, et je tremblais lorsque je sus que leurs voitures étaient entrées tout uniment à Pontarlier, et que le voiturier avait remis sa lettre des voitures aux employés, qui avaient remis au lendemain pour plomber et expédier l’acquit à caution, et surtout lorsque je sus qu’il voulait faire partir nuitamment la dite voiture, pour éviter cette triple cérémonie. M. Fenouillet ne voulut absolument pas que mes plaintes soient fondées, je me permis même de vouloir lui dire quel le matin les bureaux de la ferme pourraient faire courir après, ou que quelque employé en embuscade, comme il y en a sur toutes les routes de la frontière, n’arrête la voiture que ne serait pas revêtue de leurs seaux. Non non ! dit-il, c’est une affaire faite et tout est dit, nous allons repartir sur-le-champ, le tout prononcé avec un ton d’assurance et répété tant de fois qu’il ne me fut pas permis de lui donner un conseil que je sentis nécessaire, et qu’il n’aurait pas suivi, persuadé comme il était que tout était bien. C’était d’emmagasiner à l’instant, chez Faivre ou ailleurs, les dites balles où elles seraient restées deux fois ou trois fois 24 heures, et de faire retourner le voiturier sur-le-champ en Suisse et tout était en sûreté. Quelqu’un aurait paru le matin et aurait dit que cette marchandise avait été expédiée par erreur pour la France, qu’un exprès de St. Sulpice avait prestement fait retourner la voiture. C’était le seul expédient pour réparer la gaucherie d’avoir fait entrer tout uniment cette marchandise dans Pontarlier. Pardonnez-moi ce terme, il m’a échappé et je vous prie de croire que j’aime de tout mon cœur M. Fenouillet, et qu’il n’y a que mon zèle pour votre maison qui me fait avoir ce terme impropre.

À neuf heures du matin, c’est-à-dire il y a environ une heure que Faivre est entré dans ma chambre comme j’étais à écrire à Besançon, en me demandant avec empressement si je savais ce que c’était qu’une voiture de librairie à mon adresse qui avait passé cette nuit quoiqu’elle dut être plombée ce matin, et dont le voiturier avait laissé hier soir la lettre de voiture au bureau. Pourquoi me faites-vous toutes ces questions, voilà ma réponse. C’est, dit-il, que je viens d’apprendre, et c’est un bruit de la rue, que 4 employés sont envoyés jusqu’à Besançon après une voiture, qui devait être plombée ce matin et qui a disparu cette nuit. L’on dit qu’elle est à votre adresse et qu’elle est signée Fenouillet. Jugez de ma surprise et de mon inquiétude, puisque je me vois forcé de vous prier de ne plus me compromettre dans de pareilles imprudences, car ce serait mal répondre de la sagesse de ma conduite jusqu’à présent, et il serait fâcheux pour moi que je sois compromis à tort, puisque je ne m’en suis absolument pas mêlé. Cependant, ne nous affligeons pas encore entièrement. Je ne vous rapporte qu’un ouï dire, qui souvent sont menteurs. Je désirerais bien que celui-ci en soit un. Je n’ai rien vu par moi-même, je ne suis pas encore sorti de ma chambre, je n’ai que le temps de vous écrire ce détail aussi fidèle que si vous en aviez été témoin. Mais je vais sortir aussitôt ma lettre cachetée et remise au courrier, et je vous en adresserai ce soir une plus assurée et plus instructive, et Faivre vous la remettra lui-même demain soir. Il fait le voyage qu’il aurait fait lorsque je lui écrivis de votre bureau s’il n’avait pas été à Besançon.

Il craint bien ainsi que moi, que cette maudite aventure ne lui ferme toutes les portes qui lui étaient ouvertes ci-devant par l’activité du fermier, et le zèle qu’ils apporteront dorénavant pour n’être plus dupes.

Si vous recevez la présente aussitôt pour me répondre par retour du courrier, vous me ferez plaisir. Au reste, je crois que votre courrier ne retourne que mercredi, et je serai encore ici. Présentez, s’il vous plait, mes respects à toute votre honnête maison, sans en excepter M. Fenouillet, et croyez-moi, avec le plus profond respect,

Monsieur,

Votre très humble serviteur,

Lépagnez Cadet.

+ Quoique à la hâte

Faivre, chez qui je suis venu pour avoir un pain à cacheter, me dit encore que l’on avait envoyé sur trois routes, celle d’Ornans, celle de l’Hospital et celle de Morteau, 3 employés ce qui fait 9 en tout, mais qu’il croyait que la voiture ne serait pas rejointe parce qu’ils sont à pied. 

Booksellers: 
Creator: 
Lépagnez Cadet
Date: 
Mon, 06/30/1783