A Literary Tour de France
26. Revol, 11 juillet 1779, Lyon

M. de la Société De Neuchâtel

Lyon, le 11 juillet 1779

Messieurs,

Nous recevons en ce moment l’honneur de la chère vôtre du 7. Nous nous empressons d’y répondre, et de vous donner toute satisfaction. Ci-joint, copie du mémoire qu’avons envoyé. Vous y verrez nos raisons et nos défenses.

                  Il est bon de vous prévenir que ces neuf balles ont été arrêtées à une lieue de la ville, prêtes à traverser la rivière de la Saône pour prendre la route de Paris. Elles avaient franchi tout ce que nous craignons le plus. Les employés des fermes étaient si persuadés qu’il y avait des mousselines, que, malgré les raisons que put leur alléguer le voiturier, ils ne s’en fièrent point à lui, cependant. Si le voiturier avait été plus rusé, ils ne l’auraient pas arrêté. Mais au lieu de les convaincre en décousant les balles, ils se tinrent des mauvais propos. C’est ce qui a occasionné leur entêtement a les faire entrer en douanes. S’ils eussent présumé que ce n’était que des livres, ils auraient laissé passer la voiture, car dans la position où elle a été arrêtée, il semblait que le voiturier voulait et pouvait entrer en ville par la porte de Vaise. C’est sur quoi nous fondons le gain de notre cause, et sur ce que le voiturier, pour la commodité, a préféré d’entrer par une porte au lieu d’une autre. Nous nous sommes bien gardés de dire que nous faisions prendre cette voie pour éluder la Chambre.

                  Toutes ces balles ayant été conduites en douane pour y être visitées, ne s’y étant point trouvé de contrebande, ont été envoyées à la Chambre. Notre inspecteur et nos syndics, avec lesquels nous nous flattons d’être assez bien, ont fait de leur mieux pour rendre notre cause moins grave (car dans la stricte règle, tout était en droit de saisie). Ne pouvant se soustraire de faire une visite en règle, puisqu’ils y étaient forcés par les employés, sur les neuf balles, ils ont formé un petit ballot d’ouvrages entièrement prohibés, et ont déclaré dans le verbal envoyé en cour qu’il n’y avait qu’un ballot de mauvais et que les huit balles ne contenaient que des bons livres permis. Quoique ce fut en partie tout contrefaçon, ces Messieurs ont agi de la sorte par amitié pour nous.

                  À la réception du verbal, le Garde des Sceaux a ordonné que ce ballot mauvais soit mis au pilon, et que les bons livres soient vendus au profit des employés. Nos syndics, mécontents d’un jugement aussi injuste, ont suspendu le jugement, et c’est eux-mêmes qui nous ont dressé la requête dont ci-joint copie, pour que nous puissions être tout d’accord, et ils ont écrit en conséquence. Depuis ce temps, point de nouvelles, vous jugez par le contenu de notre requête, si on peut se refuser à nous rendre ces balles, surtout étant favorisés par nos syndics, qui seuls seraient en droit de nous chagriner. Ainsi, Messieurs, si vous avez quelques amis auprès de Monsieur de Neuville ou du Garde des Sceaux, vous pouvez réclamer vos balles comme bons livres et comme surpris qu’on les ait arrêtés. Nous allons réécrire de nouveau, et, sitôt réponse, vous en informerons.

                  Nous avons reçu la balle FC n°125, et avons complété la balle PL n°88 […] ainsi que celle FC 90 pour Fremont-Chevillon. Vous avez oublié de lui envoyer les 24 [Consolation de Drelincourt] qui lui pressaient le plus.

Nous avons aussi reçu les balles PC 128, IC 129. Nous les avons expédiées suivant les ordres de M. Pomaret de Ganges et de M. Gervais.

                  Au sujet de vos 200 exemplaires d’Encyclopédie, nous avons des emplacements suffisants, et si dans les six mois vous n’êtes pas débarrassés, nos magasins seront toujours à votre service. Ne craignez rien pour les confusions, au contraire, nous ne les aurions reçues de chez M. Duplain qu’après les avoir fait collationner. Nous sommes assez bien dans cette maison pour avoir quelque préférence. Nous ferons nos efforts pour vous en placer, ce qui commence à devenir très difficile, en égard au mécontentement que bien des gens ont fait paraître pour cet ouvrage. Nous en avons placé quelques-uns uns sur lesquels nous avons le même avantage que nous offrez. Notre zèle à vous obliger vous prouvera combien nous sommes jaloux de maintenir votre correspondance, et croyez-nous sans nulle réserve,

Messieurs,                                                                                                         

Vos affectionnés serviteurs,

                                                                                                                               Revol et compagnie.

Si ce que vous envoyons ne vous instruit pas assez et ne vous donne pas des renseignements assez suffisants, écrivez-nous de suite.

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A Monseigneur

Monseigneur Louis et Miromesnil, Chevalier Garde des Sceaux de France,

Supplient humblement Jacques Revol et compagnie, Commissionnaire chargeur de la ville de Lyon et représentant respectueusement à votre grandeur, que le 9 février 1779, le nommé Mottet, voiturier de Suisse, conduisait à Lyon la voiture chargée de divers ballots venant de Neuchâtel, Lausanne et Genève, et expédiés par divers libraires des dites vites, pour le compte de différents particuliers du royaume. Ledit Mottet, trouvant plus commode d’entrer à Lyon par la barrière et faubourg de Vaise, se dirigea dans ce dessein par le port de l’Isle Barbe, près de Lyon, où il fut rencontré par les préposés des fermes établies au dit port, lesquels s’étant imaginés qu’il voiturait des ballots de mousseline en contrebande, lui notifièrent que leur dessein était de suivre la voiture jusqu’à la douane de Lyon, où les commis visiteurs s’assurèrent que les neuf ballots qui formaient son chargement ne contenaient que des livres. Les employés trompés dans leurs attentes, et se voyant frustrés du profit de la capture qu’ils avaient cru faire, en témoignèrent leur mauvaise humeur au dit Mottet, et, au lieu de laisser aller lesdits ballots purement et simplement suivant l’usage à la Chambre syndicale, ils firent contre toutes règles un procès verbal de détention ou pour se ménager quelque récompense auprès de cette Chambre, ils supposèrent que Mottet n’avait pas intention de s’y rendre. Et cependant, ils reconnaissent par ce procès verbal que ce voiturier était sur la route du faubourg et barrière de Vaise, route par laquelle il était impossible qu’il put éviter ni la douane, ni la Chambre syndicale. Mais ce qui prouve sans réplique que Mottet ne pouvait pas avoir l’intention qu’on lui suppose, c’est que lesdits neuf ballots, ayant été conduits à la Chambre syndicale, ils y ont été visités, et qu’il s’en trouve q’un seul, d’envoi de Neuchâtel, où étaient quelques volumes en petit nombre que les syndics et adjoints ont déclaré rigoureusement n’être pas permis en France. Serait-il donc vraisemblable que ce Mottet eut eu quelque connaissance des dits livre contenus au ballot de Neuchâtel ? Car il est bien évident que dans cette supposition, il n’aurait pas cherché à éluder la Chambre qui pour cet unique ballot, ce qui aurait été plus facile. Et que pour un si petit objet qui ne va pas a cinquante [écus], il n’aurait pas compromis pour quatre mille [francs] de livres permis, dont l’introduction furtive était inutile, et même impossible, vu le grand nombre de ballots et qu’il était plain jour, comme il constate par le procès verbal.

Il est donc bien évident que la mauvaise humeur des préposés a pu seule faire supposer une pareille intention au Sieur Mottet, qui n’entrait effectivement pas par la porte de Vaise que parce que la douane où il devait rendre lesdits ballots était plus à sa portée sur cette voie.

Quoique les suppliants aient pu devoir présenter à votre Grandeur la justification du voiturier Mottet, ils sont cependant bien éloignés de croire que, quelque dessein qu’on lui suppose en faveur du ballot de Neuchâtel, il ait pu pour la compromettre et mettre dans ce cas de saisie la confiscation les huit autres ballots de son chargement venant de différentes villes, appartenant à divers propriétaires, et ne contenant que des livres permis.

Où serait, Monseigneur, la sûreté du commerce en général, si la confiscation totale du chargement d’un voiturier pouvait résulter de ce que, portant un ballot prohibé, il aurait voulu introduire toute la voiture furtivement, quoique tous les autres ballots appartenant à divers particuliers ne continssent que des choses licites ? Quels seraient alors les particuliers de quelques rangs qu’ils fussent qui laisseraient hasarder leurs effets sur les routes du Royaume de France ?

L’intention de la fraude ne peut être supposée pour des objets libres et permis. Et par conséquent, la confiscation ne peut jamais tomber sur des ballots qui ne contiennent rein de prohibé, et surtout lorsqu’ils n’ont en effet rien de commun avec le ballot saisissable du même chargement, ni pour les propriétaires, ni pour la nature des effets, si ce n’est d’avoir été fortuitement chargés ensemble sur la voiture d’un roulier. La rigueur intéressée de la régie des fermes n’a jamais osé former une telle prétention, qui intercepterait nécessairement le commerce et détruirait la sûreté publique. Si les ballots et effets légitimes devaient être garants du chargement entier d’une voiture, coche ou guimbarde.

Il est vrai que l’usage de la régie des fermes est de saisir le ballot entier qui contient la prohibition, et qu’ils font confisquer même les effets permis qui y sont renfermés. Mais alors, il y a identité supposée de propriétaire, et ce propriétaire est bien coupable de la fraude. Les ballots légitimes du même chargement qui n’ont point le même propriétaire ne sont point saisissables, parce que, sous aucun point de vue, ils ne doivent garantir le délit d’autrui, et encore moins celui du conducteur mercenaire de la voiture.

Les suppliants sont commissionnaires chargeurs. C’est-à-dire que leur profession consiste à recevoir tous les ballots que les négociants des différentes villes de France et de l’étranger font passer par Lyon, où ils se chargent de les faire visiter en douane, d’acquitter les droits, s’il en est du, et de les faire suivre à leurs destinations. Ils sont ainsi responsables des ballots, et si la saisie des balles légitimes du chargement de Mottet venait à être prononcée, contre les règles ordinaires, les suppliants auraient autant de procès en garantie à soutenir devant les tribunaux, qu’il y a de ballots -- le voiturier Mottet ne pouvant d’ailleurs par lui-même en cautionner la valeur.

Les suppliants sont incessamment convaincus que les syndics et adjoints de la Chambre interprèteraient rigoureusement la décision qu’ils ont reçue de votre Grandeur. S’ils faisaient tomber la confiscation sur tout le chargement de Mottet. Cette décision qui ordonne de vendre les livres permis au profit des préposés des fermes ne concerne évidemment que les livres permis, qui sont dans le ballot de Neuchâtel, où se trouvaient quelques livres jugés ou prohibés par les syndics et adjoints. Sans faire violence aux termes et à l’esprit de la décision, on ne peut supposer que votre Grandeur ait voulu comprendre dans la proscription les ballots légitimes appartenant à des propriétaires de différentes villes qui n’ont pu en aucune manière participer à la faute de l’expéditeur de Neuchâtel, ni a celle qu’on attribue au Sieur Mottet. On doit encore moins présumer que votre Grandeur ait voulu, aux dépens des propriétaires innocents, gratifier deux commis ambulants des fermes d’une somme aussi considérable que le produit des huit ballots de livres permis.

D’après ces justes représentations, les syndics et adjoints, incertains sur l’exécution effective des dits ordres, ont laissé aux suppliants le temps de présenter requête à votre grandeur.

À ces causes, qu’il vous plaise, Monseigneur, confirmer votre décision portant confiscation totale du ballot de Neuchâtel, pour en être des livres prohibés, détruits et pilonnés, et les livres permis contenus au dit ballot, vendus au profit des préposés des fermes.

Ordonnez en outre aux syndics et adjoints de remettre entre les mains des suppliants les huit autres ballots appartenant à divers propriétaires, et ne contenant que des livres bons et permis en ce Royaume, afin qu’en les faisant suivre à leurs diverses destinations, les suppliants puissent s’acquitter envers leurs commettants de Lausanne, de Genève et de Neuchâtel, et, ce faisant, les syndics et adjoints décharger.

C’est dans l’attente de cette interprétation aussi juste qu’équitable que les suppliants ont l’honneur d’être et de se dire avec le plus profond respect, Monseigneur, de votre Grandeur,

Lyon, mai 1779

Les très humbles et très obéissants serviteurs.

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Monsieur de Neville,

Lyon, mai 1779

Maître des requêtes

Administrateur Général De la Librairie de France                                                                                     

           Monsieur,

Nous avons l’honneur de vous envoyer ci-joint un mémoire abrégé adressé à Monseigneur le Garde des Sceaux, dont nous croyons le contenu digne de votre attention et de votre bienfaisance, autant que de vos lumières et de votre équité. Vous verrez, Monsieur, que rien n’est plus juste que ce que nous demandons par ce mémoire, et nous espérons qu’en conséquence vous voudrez bien l’appuyer de votre bonne et puissante recommandation auprès du ministre suprême de la justice, pour y faire donner une décision conforme à notre attente. Et, sensibles à ce trait de votre bonté, nous ne cesserons d’être avec les sentiments de la plus vive reconnaissance, comme nous le sommes avec ceux du plus profond respect.

       Monsieur,

Vos très humbles et très obéissants serviteurs.

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Document joint : Lettre de coche du 20 décembre 1778, fait à Verdun en Lorraine et signé par M. Mondon et M. Revol  (recto et verso).

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Document : Liste des tomes de l’Encyclopédie remis à Revol du 4 au 8 octobre 1779 et du 20 au 30 novembre 1779 (recto et verso).

Date: 
Sun, 07/11/1779