A Literary Tour de France
Malherbe à la STN, 10 mars 1770, Saint-Maixent en Poitou

À St-Maixent en Poitu

                                                                                              10 mars 1770

Monsieur,

N’ayant reçu depuis que je vous ai quitté qu’une seule lettre de vous adressée chez ma défunte tante, Mme Dumoustier, dans les premiers jours de décembre dernier, j’aurais lieu d’être surpris de votre silence à mes dernières tant directes que sous couvert d’ami, dont la dernière 13 janvier doit vous avoir été remise par M. Haldiman.  Si ce M. Haldiman ne me faisait entendre en m’écrivant du 15 février que vous deviez m’avoir fait au long un détail de mes petites affaires principalement depuis la mort de M. Kutter qu’il m’annonce et qui m’a surpris, n’ayant aucune de vos lettres depuis cette première, j’ai lieu de craindre que si vous m’avez écrit comme on me l’a fait entendre, ou que vos lettres sont perdues ou que vous les aurez mal adressées.  Le principal sujet de la présente est donc pour m’en informer et vous prier de me faire part de tout ce que vos pouvez m’avoir écrit.  C’est ce que j’attends de vous le plus tôt possible qu’il vous sera possible à l’adresse que je vous ai déjà donnée de Mme Vve Proa, rue de la Croix à St-Maixent en Poitou, sans faire mention de mon nom.  Je ne fais nul doute que vous ayez en temps retiré mes effets des mains du feu M. Kutter, mais que mes deux traites sur mon père ont été bien acquittées.  Il ne doit y avoir eu aucune difficulté pour rendre ces effets.  Je les compte donc en vos mains.  Je vous engagerais de me placer la montre d’argent au prix coûtant de L.54.  Je suppose que vous aurez pu y parvenir, soit par quelque troc ou d’autre manière.  S’il en est autrement, vous la garderez, s’il vous plaît, avec le reste jusqu’à ce que j’en dispose.  Je ne puis encore m’y déterminer, ignorant quelle sera ma destinée. 

Je vous avais recommandé aussi de ne point acquitter pour moi ma reconnaissance à Vincent qui avait passé ès mains de M. Morel, que je ne vous le mandasse.  La même difficulté existe.  La montre de Vincent est invendue, comme la vôtre, ne pouvant y vaquer.  Et depuis près de deux mois mon frère, à qui je les ai remises, étant détenu dans la chambre, ayant eu le malheur de se casser une jambe par un coup de pied qu’il a reçu de son cheval, il faut donc que M. Vincent patiente, et qu’il rembourse M. Morel.  Donnez-moi, je vous prie, nouvelles de M. Vincent.  Comment est-il actuellement dans votre ville depuis qu’il a quitté M. Richard ?  Il doit, je crois, être retourné chez M. Petitpierre.  Je lui écrivis le 20 janvier.  Il ne m’a pas répondu.  Je lui recommandais une lettre incluse dans la sienne pour ma cousine Meister à Zurich.  S’il est encore à Neuchâtel, informez-vous à lui s’il a bien eu le soin de mettre cette lettre chez vous à la poste.  Je crains qu’il l’ait négligé n’ayant aucune nouvelle de mes parents de Zurich.  Il n’aura peut-être pas été content de ma lettre, mais je ne pouvais lui écrire autrement.  Ma sincérité me portera toujours à déclarer mon sentiment sans fard, ni politique. 

Il me tarde aussi, si depuis le renvoi que vous a fait M. Chenébié de Vévey de ma traite sur De Roland, de savoir si vous aurez eu le soin de la recommander à quelque ami à Genève pour la faire payer.  J’écrivis à De Roland le 6 janvier mais il ne m’a pas répondu.  Je ne sais si ma lettre l’aura bien trouvé chez M. Dufour où on me mandait qu’il devait être.  Par la même occasion j’écrivis à M. Rouget de chez vous.  Demandez-lui s’il a bien reçu par Genève lettre de moi 6 janvier.  Ce sera une preuve que De Roland aura reçu ma lettre.  Voici aussi un billet pour mon dit Sieur Rouget.  Envoyez-lui [sic], je vous prie, au reçu de ma lettre. 

Vous m’avez témoigné assez sincèrement, m’a-t-il paru, que vous vous intéressez à mon futur sort.  Aujourd’hui je ne puis rien vous dire de bien conséquent encore sur la fin de mes peines.  Mes affaires sont toujours en train d’accommodement.  Je ne comptais pas quand j’ai quitté la Suisse qu’elles traîneraient encore si longuement car je ne serais peut-être pas parti jusqu’ici.  Je ne regrette pas ma démarche parce que je puis veiller à tout plus commodément étant plus à portée.  Toutes mes délibérations pour parvenir à une fin avantageuse sont entre les mains d’un avocat à qui je me suis confié.  L’ouvrage de ma liberté est donc à la merci de ses soins et de son activité.  Il est beaucoup occupé.  C’est pourquoi depuis 5 mois que je lui ai confié mon affaire, il ne put encore l’amener à conclusion, cependant du premier de ce mois, il ne me demandait plus que quinzaine pour finir les écritures nécessaires pour nombre d’assignations à donner, lui ayant recommandé de presser toutes choses.  J’espère qu’en ce mois ces assignations se signifieront, après quoi je n’aurai plus à patienter qu’après les délais de l’ordonnance.  Il sera donc bien encore le mois de mai avant que je puisse vaquer à l’exécution de mes promesses pour vous placer des Bibles, psaumes, et pour les autres ouvrages qui regarderont votre société.  Si je puis sortir en public à Pâques, je dois aller chez des parents à 3 lieues d’ici.  Je me trouverais aux églises du désert, je conférerais avec les ministres et anciens pour placer Bibles, psaumes, sermons, prières etc.  En attendant, songez à vous garantir quelque moyen certain pour l’entrée en France, soit par Genève et Lyon, soit par Besançon.  Si par l’entremise de M. Charmet il y a moyen en bardant vos ballots de quelques rames de papier blanc—qu’ils passent pour tels sans être visités ni défets—l’expédient me paraîtra le meilleur.  Il sera aussi bon de savoir si les impressions qui sortiront de vos presses entreront librement en France.  On ne peut opérer que préalablement on ne soit au fait de ces faits.  C’est ce qui me fait en quelque sorte vous écrire aujourd’hui comptant au reçu de votre réponse que mes affaires s’acheminent à conclusion.  Je vous demandais aussi par une de mes dernières le prix du Dictionnaire d’histoire naturelle de M. de Bomare, édition d’Yverdon et celui de la géographie de M. Bosching traduit de l’allemand.  Vous ferez bien aussi de me donner note des productions qui sortiront de votre imprimerie. 

Quand une fois je serai libre je pourrai vous mander plus positivement à quoi je me fixerai.  S’il y avait disgrâce pour moi à rester en France,  je ne retournerais en Suisse que pouvant m’y faire un sort gracieux.  Autrement je pense à me ménager une occasion de lier société avec un ami que j’ai à Cadiz.  Toutefois je donnerai la préférence à ma patrie pourvu que je vienne à bout de lever tous les obstacles qui me traversent jusqu’ici. 

J’ai encore plusieurs de vos prospectus pour votre vocabulaire.  Dites-moi si on pourra après le mois de juin prochain recevoir des souscriptions s’il s’en offre.  Je présente mes respects à Messrs. Ostervald, Bertrand et Berthoud.  Si M. Berthond continue sa pension on pourra à la suite lui procurer quelques pensionnaires. 

Je vous souhaite, Monsieur, une continuation de bonheur et de prospérité aussi étendue que vous pouvez la désirer.  Mes civilités les plus empressées à Mme Fauche, à Mlles Manon, Salomé, et à Mme Majot.  Puisse toute votre chère famille vous donner tout le contentement désirable.  Comment le petit Alexandre se porte-t-il, grandit-il, et sa sœur, est-elle déjà à lui tenir compagnie? 

Si vous voyez Mlle Salomé Favre, faites-lui part de mon souvenir et assurez-la de mon estime. 

Si vous avez occasion de voir M. Haldiman, dites-lui que sa lettre m’a fait le plus sensible plaisir et que je ne lui réponds pas encore attendant sous peu lui apprendre que je suis dégagé de toutes peines et embarras. 

J’oubliais de vous dire que mon parent M. Étienne Joly de La Rochelle m’a mandé que M. Desbords méritait toujours égale confiance.  S’il ne vous a pas encore satisfait, cet avis doit vous tranquilliser.  Je vous offre toujours, Monsieur, tout ce qui dépendra de moi et demeure avec une véritable estime et un sincère attachement, Monsieur, votre très humble serviteur,

Malherbe, l’aîné

Date: 
Sat, 03/10/1770