A Literary Tour de France
Malherbe à la STN, 22 janvier 1772, Loudun

                                                                                              Loudun 22 janvier 1772

Monsieur, 

Je suis favorisé de vos deux chères lettres 7 septembre et 5 décembre dernier auxquelles j’ai différé de répondre par les raisons détaillées dans ma lettre ci-jointe pour votre société à laquelle je vous prie de la remettre.  J’attendais de plus lettres de Paris qui m’annonçassent l’envoi de livres que vous me marquiez dans votre première ordonné de me faire passer.  M. la Brouë ne m’a rien écrit à cet égard.  Sans doute que vous aurez changé d’avis.  N’importe—je vous en offre pas moins mes services partout où je vous serai utile. 

Je vous remercie des souhaits avantageux que vous m’adressez sur mon établissement à la tête de mes affaires.  J’ai encore eu bien des tracasseries à essuyer depuis mon retour, mais depuis le 13 décembre que j’ai obtenu un nouvel arrêt en dernier ressort, en cour supérieure à Poitiers, je commence à jouir de cette tranquillité tant désirée depuis 5 ans.  Je ramasse mes fonds dispersés petit à petit.  J’ai une quinzaine de marchandises de réalisé et je travaille continuellement à ramasser le reste pour vite payer et sortir d’embarras.  Après quoi si j’avais un père moins dur je pourrais bien recommencer de bonnes affaires—s’il me procurait les avances nécessaires qui tiendront à sa volonté.  Si je ne puis le fléchir, je me bornerai à peu et surtout aux commissions que je pourrais me ménager de mes amis.  Je suis pour le règlement de divers comptes que j’ai avec mes correspondants à Nantes.  À la veille de m’y rendre, j’y serai à la fin du mois, et y séjournerai jusque vers le 20 février.  Si vous avez quelques commissions à m’y donner, vous pourriez ensuite m’y faire réponse chez M. L. Souhigaray, fils négociant. 

Les affaires de votre société ne vous appelleront-elles point en France, auquel cas j’ose me flatter que vous voudrez bien vous écarter un peu pour venir me voir.  C’est la promesse que vous m’avez faite, en vous quittant.  Je vous somme de l’exécuter.  Je vous suis obligé des bonnes recommandations que vous m’avez accordées auprès de MM. vos épiciers et autres marchands.  Nous avons différents articles qui se tirent de nos villes plutôt que des ports de mer, tels sont nos huiles de noix, lin, chanvre, [mot illisible] etc., nos grains de coriandre, anis, fenouil, citrouille et nos plumes d’oie, canard, volaille, nos peaux d’agneau, parchemins, chagrins et peu éloignés des ports de mer nous pouvons fournir à aussi bon compte cafés, sucres, indigo, thés etc.  J’écrirai à quelqu’un après mon voyage de Nantes.  À l’occasion je vous prie de me continuer vos bonnes recommandations.  Faites, je vous prie, mes compliments à M. DuCommun.  Est-il toujours à Neuchâtel chez MM. Portalès?  On m’a écrit que le Sieur Vincent n’était plus dans votre ville.  Où existe-t-il donc?  Que fait Mlle Suzette Petitpierre?  Elle doit être triste de son absence.  M. [mot illisible] s’occupe-t-il toujours de Mlle Roze?  Tâchez de me procurer son adresse.  Je vous en serais obligé. 

L’échange que vous me proposez ne peut guère avoir lieu ou il faudrait avoir devant soi des fonds considérables.  Nos denrées [mots illisibles], huiles etc. s’achètent toutes au comptant ou au plus long terme à 3 ou 4 mois avant qu’elles vous fussent expédiées et arrivées et les livres convenus vendus à ma disposition.  Mes envois seraient payés et il me faudrait noter en avance 18 mois ou 2 ans jusqu’à ce que j’eusse écoulé vos livres car c’est un détail fort ingrat.  Je le sais par expérience.  Il n’est donc pas possible pour maintenant au moins que je vous fournisse en échange de nos denrées contre vos éditions.  Quand nous vous en avons tiré des bords et envois, vous nous donniez 18 mois à 2 ans et ce n’était pas trop puisqu’il me reste encore des articles invendus chez lui tant pour mon compte que votre compte à demi.  Si nous convenons de prix et que vous vouliez me faire quelques envois d’articles courants et m’accorder 18 mois, 2 ans et 30 mois, à la bonne heure, je vous demanderai quelques articles.  D’abord je pourrais prendre une trentaine d’exemplaires de votre petite Bible et je vous en ferais, je crois, placer autant à un ami, mais il faut primo savoir comment les introduire aux anciens inconvénients.  Voici joint le nouveau droit établi qui augmentera furieusement la librairie étrangère.  J’ai même répugné d’abord de vous répondre à cause de celui-ci, mais ayant connaissance qu’il vient, de L.60 par quintal, d’être réduit à L.20, ce sera moins onéreux et d’après les facilités que vous avez d’introduire en France par le canal de vos connaissances, vous pouvez peut-être sauver encore ce droit.  Ayez donc la bonté de m’instruire à cet égard avec détail et exactitude.  Étant bien avec M. De Sartine, vous pouvez obtenir bien des choses pour l’introduction, surtout s’il vous permettait de faire usage de son adresse. 

Si vous inclinez à me faire quelques envois pour votre compte, je ne négligerai rien pour vous en tirer au plus grand avantage possible.  Commencez par des essais peu conséquents et suivant le succès et que vous serez content, vous continuerez.  Si votre société a effectivement réussi de [sic] faire entrer sans acquit à caution vos balles, ce sera une grande facilité.  Il ne suffit pas de les faire entrer sous acquit à caution.  Il faut aussi avoir la faculté de le faire décharger, à quoi sans doute elle aura également pourvu.  La voie de Turin et Marseille convient pour Nîmes, qui est à proximité.  Mais pour ici elle est trop coûteuse, ce qui enchérit trop la marchandise.  Je l’ai essayé ci-devant.  Vos testaments et psaumes serviraient à nos paysans du Poitou pourvu que les psaumes fussent d’un caractère un peu gros tous, musique avec les 54 cantiques et  d’après l’édition d’Imhoff de Bâle qui est fort recherchée.  Les sermons de Nardin sont aussi demandés.  Dans deux voyages que j’ai faits à St-Maixent depuis que je l’ai quitté, l’un à Arnac en Saintonge.  J’ai parlé de tous vos articles, mais on veut voir les éditions.  On ne peut rien vendre que [mots illisibles].    

Comme je vous l’ai déjà dit je n’ai eu aucun avis d’expédition du ballot libri que vous avez à Paris.  Si M. La Brouë me l’envoie de votre ordre et pour votre compte, je tâcherai de vous en tirer partie.  Je n’ai point eu de lettres de MM. les directeurs de la loterie de Mannheim, mais je crains ne pouvoir trop remplir les vues de ces messieurs touchant ces objets, ayant pris information et sachant que toute loterie étrangère est prohibée en France.  M. Bouwy, conseiller de la cour de Trèves, m’a bien fait passer le plan de la loterie de Coblentz.  Je ne lui ai pas répondu encore, craignant que cette prohibition ne nuise à placer les billets.  Je vais en prendre information dans mon voyage et je lui répondrai après.  Comme les tirages se font toutes les 3 semaines, c’est encore un obstacle, le temps étant trop court.  Si on pouvait renvoyer les billets que l’on aurait pris ou sur lesquels on aurait placé que tous les 4 ou 6 mois encore passés….  Prévenez, je vous prie, M. Bouwy de ceci et annoncez-lui que je lui répondrai après quelques informations prises, que mes affaires qui m’ont absolument et uniquement occupé depuis 6 mois ne m’ont pas permis de prendre. 

Si MM. Borel et Roulet veulent faire quelques petits envois de leur fil d’archet, je verrai à les placer à Saumur.  Offrez-leur à cet égard mes services.  J’ai toujours assez aimé le travail.  Je ne demande qu’à m’occuper utilement.   

Je n’ai eu aucun signe de vie de M. Rouget depuis mon retour en France qu’une seule fois, ce qui me surprend beaucoup.  Je souhaite qu’il se soit bien arrangé dans ses affaires puisqu’il ne reste pas loin de la ville et qu’il y vient quelquefois.  À l’occasion, faites-lui mes compliments et reproches de son manque de souvenir.  Voici un petit mandat sur lui de L.4-12-0 pour le port de paquets, lettres pour son frère aux îles et réponse reçue de Nantes pour lui.  Présentez-lui à prévue.  Il ne fera pas, je pense, difficulté de l’acquitter en étant payé.  Cela compensera ce que je vous dois.  Vous me restiez L.3.  En partant, vous avez remboursé à MM. Charmet pour port de lettres L.7-1-0 suivant note que vous m’avez remise.  Reste que je vous dois L.4-1-0.  Je souhaite à M. Rouget qu’il ait eu de bonnes nouvelles de son frère.  Quand il voudra m’en instruire, je recevrai les lettres avec plaisir, dites-lui.  Mme Duplon, court-elle toujours pays avec son amant?  On m’a écrit de Vévey que M. De Roland, après avoir quitté la Suisse, était passé en Hollande où il s’est embarqué pour Batavia, ainsi sans doute mes L.26-15-0 qu’il me devait sont perdus, de quoi il faut bien se consoler.  C’était encore un peu fidèle ami, mais qu’ils sont communs ainsi.  Je n’ai point eu depuis longtemps de nouvelles de M. Haldiman.  Il me doit réponse.  C’est pourquoi je ne lui écris pas.  Si vous le voyez, dites-lui que je suis erroné de son silence.  Assurez-le néanmoins de mon amitié constante et qu’à sa volonté je recevrai avec plaisir de ses nouvelles.  J’ai été vraiment fâché de la mort de Mlle Favre.  Je ne m’attendais pas à cette triste nouvelle.  C’est périr bien jeune.  Maintenant que je suis fixé chez moi, je vous prie de me faire expédier les articles que [mots illisibles] laissé chez M. De Luze.  Il faudrait tâcher de former un ballot de 80 à 100 pesant, qu’il puisse s’expédier par charrette.  Il conviendra de l’envoyer par Besançon d’où on l’adressera à Orléans pour me le faire passer.  Si vous avez encore un

Bomare et une géographie de Büching, envoyez-moi de chacun un exemplaire et pour compléter le paquet, insérez-y un exemplaire seulement des livres nouveaux et curieux que vous aurez—par exemple, quelques [mot illisible] pourvu qu’il n’y ait qu’un exemplaire de chaque.  Il n’y a pas à craindre de confiscation.  Vous déclarerez les effets que j’ai chez vous hardes à usage ou effets à usage.  Et les livres bibliothèque particulière.  Je vous avais demandé s’il y avait moyen de s’arranger avec le directeur de Pontarlier pour chaque mois me faire tenir votre journal de Neuchâtel par le [mot illisible].  Mettez dans le paquet tous ceux qui ont paru depuis que votre société le dirige.

S’il n’y avait pas moyen de m’expédier les livres, vous prendriez, s’il vous plaît pour faire un poids de L.100 chez MM. Roullet quelques essais de fil d’archet propre pour Saumur et expédiez mes effets avec.  En voici la note:

Une paire de boucles à pierres grandes et petites et la boucle de col

Une idem en argent, les grandes seulement

3 paires de manchettes brodées

2 vestes en soie et une montre d’argent

Vous prendrez le louis d’or ou ce qui en restera si le sieur Vincent s’est fait payer du billet de L.15-18-0 que je lui avais consenti par pitié, mais à la clause verbale qu’il n’en ferait point usage qu’il ne sût que j’eusse fait L.72 de sa montre.  Je l’ai encore.  Je n’en trouve pas à beaucoup pour ce prix.  Il m’a trompé.  C’est là le fruit que je retire de sa prétendue amitié et de ma complaisance de l’avoir défrayé dans notre voyage de Genève. 

J’attendrai donc avis de votre part de l’expédition de ces articles d’une manière ou d’autre. 

Si vous pouvez me faire avoir l’adresse de quelque lapidaire je vous serai obligé.  Votre liturgie n’est pas propre pour nos cantons.  Nous en avons une pour notre usage imprimée furtivement en France.  Je crois bien qu’on placerait de vos Bibles in-8° mais il faudrait les avoir.  M. Heilman m’avait engagé de lui donner de mes nouvelles quand je serais tranquille chez moi.  Je ne l’ai pas fait encore.  Ce sera dans quelque temps. 

M. Chenébié de Vévey me demande le prix des parchemins à chagrin.  Je le satisferai au premier jour.  J’ai appris indirectement les fâcheuses affaires qu’on a suscitées à votre société pour votre édition du Système de la nature et que les tracasseries que vous avez essuyées ont occasionné le déport de MM. vos associés Bertrand et Ostervald, que même de chagrin ils avaient quitté Neuchâtel.  Je suis vraiment affligé de cette triste aventure.  Si elle est aussi sérieuse qu’on me l’annonce, vous serez donc à la tête de votre société.  Je souhaite pour votre bien que vos intérêts n’aient pas souffert de cette disgrâce.  J’ai été étonné qu’il n’en soit point fait mention dans votre dernière lettre. 

Agréez, quoiqu’un peu tard, mes vœux en votre faveur dans le renouvellement de cette année.  Ils n’en sont pas moins sincères.  Daigne la providence les exaucer.  Vous jouirez de la félicité et prospérité la plus complète.  Je prie Mme Fauche, Mlles ses sœurs, d’agréer ici les mêmes vœux et les assurances de mon souvenir.  Mille amitiés à votre chère famille.  Puisse-t-elle croître en biens et vous donner toutes sortes de satisfactions.  Continuez-moi vos marques de bonté et de gracieux souvenirs et soyez persuadés tous de ma reconnaissance à toutes vos attentions.  Si quelque jour quelque affaire ou heureux hasard peut me rapprocher de vos quartiers, je vous reverrai tous certainement avec plaisir.  Si certains projets peuvent s’affecter, je ne désespère pas de revoir la Suisse.  D’ailleurs, il y a un moyen:  procurez-m’y une aimable amie et 20 ou 25 mille livres de dot.  J’en espère plus:  mais pas au dessus de 10 à 12 du vivant de mon père qui aime trop jouir. 

À l’occasion, voudrez-vous rappeler mon souvenir à Mlles Lobrot et leur offrir la [mot illisible] de mes respects.  Mon parent M. Leclerc est-il toujours chez M. Berthoud ? 

Je vous souhaite à tous bien de la santé et vous prie de me croire pour la vie avec un sincère attachement et une estime distinguée, Monsieur, votre très humble et dévoué serviteur,

Malherbe, l’aîné 

Je prie M. Rouget de payer à M. Fauche la somme de quatre livres douze sols déboursés pour lui pour le port de différentes lettres pour acheminer à son frère à l’Amérique et ce pour solde de tous frais faits jusqu’à ce jour 22 janvier 1772.  Il obligera son dévoué serviteur et ami, Malherbe, l’aîné. 

Date: 
Wed, 01/22/1772