Loudun, le 23 juin 1781
Messieurs,
Ma correspondance avec vous deviendra-t-elle la cause de ma perte? Tout y tend. Par la rigueur avec laquelle agissent tout contre moi vos commissionnaires de Paris et Poitiers, vous me faites poursuivre sans ménagement. Tout autre y aurait déjà mis ordre. Je veux tâcher de me soutenir. Seriez-vous les seuls à vous y opposer ? Je n’ai jamais supposé cette volonté dans votre caractère. Il paraît que M. Battilliot est monté contre moi, jusqu’à vouloir me perdre. J’ignore qui m’y a desservi aussi complètement. Il y a 8 jours, je fus à Poitiers pour parler à M. Supervielle. Je lui fis toutes les offres en mon pouvoir pour mettre votre dû en sûreté. Rien ne peut le fléchir. S’arrêtant à croire que je devais être en possibilité de faire L.1300, je fis porter un ami et parent. Après mon départ, il n’a pas mieux réussi. Il a fallu subir l’effet d’une sentence, sa signification, et enfin le 20 de ce mois, son exécution. Quel coup, Messieurs, pour mes affaires, mon crédit. Un voisin honnête homme, M. Naudet, procureur s’est rendu dépositaire de 3 ballots de vos propres marchandises montant aux prix de vos factures à L.1559-10-0. On ne donne qu’une quinzaine pour mettre ces marchandises en vente. Si la rigueur de vos commissionnaires se perpétue jusqu’à ce point d’en exiger vente publique, je suis perdu. On ne fera pas à Loudun L.300 de ces L.1559-10-0 et vous savez que la nature de vos objets n’est pas pour paraître en public. Il faudra donc que je me voie consommer en frais, réduire L.1559 à peut-être pas 300, peut-être voir intervenir la police qui confisquera ces livres, s’autorisera de là de faire perquisition chez moi. À quelles peines me préparez-vous ? Je vous avais prévenus 2 mois avant l’échéance de mon billet ne pouvoir y satisfaire. N’aurait-il pas mieux fallu faire prendre des tempéraments amiables, que de me vouloir perdre ? Vous ne trouverez jamais de mauvaise volonté chez moi. Je vous ai dit que si votre confiance ne pouvait plus m’être accordée que j’avais plus que je vous devais de vos propres marchandises. Vous ne sauriez donc me reprocher dissipation de vos objets et que je tende à vous duper. Je n’ai jamais mendié votre correspondance, encore moins la partie qui fait le sujet du malheur où vous me jetez et qui m’attire tant de soucis et de travers. Je ne me souciais pas de m’en charger. Vous m’y sollicitâtes, me flattant que rendue chez moi cette partie conviendrait à libraires que vous fournissiez, tels que Pavie, M. Scheline etc. Je ne leur ai rien vendu. Cette partie ne peut s’écouler qu’à la longue par 2, 3 à 4 exemplaires à l’occasion et avec d’autres. Elle me reste. Je l’ai arriérée par plus de 30 mille livres dues que je ne puis faire rentrer. Je cherche à vendre domaines. Je ne trouve pas. Il faudra succomber de nécessité si on s’acharne avec cette fureur à me consommer. Voilà un éclat qui, s’il transpire, et cela n’arrivera que trop, qui peut m’ôter toutes ressources. Je voudrais trouver à vendre. Je ferais de [mot illisible] vos L.1300 mais ne pouvant l’exécuter, il faut rester sous le coup qui me frappe. On me retient mes fonds. Je ne puis être payé. J’ai cela de commun avec bien d’autres. Je voudrais éviter les pertes que toux ceux qui sont en gêne prennent. Une bonne volonté a été approuvée de plusieurs amis et je fais le possible pour réparer ce [mot illisible] en vendant. Mes recherches ne se rebutent pas. Je les réitère. Si on ne veut pas me laisser liberté de me ménager, l’exécution, et effet de cette négociation, il faut autant tout laisser à l’abandon. Vous ne pouvez me reprocher dissipation de vos objets. J’en ai en nature venant de chez vous pour plus que je vous dois d’échu et à échoir que d’un débiteur s’annonce. Ainsi il ne doit pas être, je crois, suspect de mauvaise foi. On connaît assez mon assiduité à mes affaires, que rien ne m’en éloigne. Il est cruel qu’en [mot illisible] que je puis compenser tout ce que je dois par ce qui n’existe, qu’on le conjure à me le faire manger en frais comme feront les effets qu’on vient d’exécuter qui sont invendables à Loudun [mot illisible] public. Qu’on daigne donc me laisser le temps de me retourner, de me laisser faire argent. Je ne refuse point de payer. Je suis prêt d’y employer tout ce que j’ai mais encore faut-il que chaque objet puisse y servir suivant la juste valeur, autrement si on me fait réduire à zéro ou par vente forcée, ou par frais multipliés ce qui me reste, comment résister à tant d’orages et fléaux ? Loin d’avoir du reste, je serai bientôt en [mot illisible]. Je me dois à tous mes amis comme à moi-même. Ayez donc égard à ma bonne volonté. Si ce n’est pas pour moi personnellement au moins pour votre propre intérêt. [mot illisible] moi concilier les moyens de satisfaire à votre prétention. Je ne vous ai pas paru digne de réponse sans doute à ma lettre 15 mai. Celle 6 juin pourrait m’être répondue chaque courrier désormais. Je ne sais si celle-ci pourra l’être avant les courts délais que l’on met de l’exécution. Faites à la vente citer ce quinzaine. Vous voudrez bien réfléchir sur les conséquences disgracieuses et ruineuses qui s’en suivront si elle se fait par cette voie. C’est le premier délai que je vous ai demandé depuis le commencement de nos relations et à la suite d’affaires traitées et soldées exactement pour plus de L.6000 à L.7000 bien payés depuis 1773. Les voies de conciliation que je demandais exigeaient [mot illisible]. Plusieurs de mes correspondants en ont reconnu l’importance, en se rendant à mes demandes sans éclat. On n’a pas été votre bon plaisir à vous [mot illisible]. Il n’y a pourtant point tant de mauvaise affaire à craindre avec moi, vous réitérant qu’il me reste de vos sortes pour plus que je vous dois et qui sont à vos ordres. Si vous voulez, ce moyen mettra votre tranquillité en repos. J’espère que vous me favoriserez enfin d’une réponse. L’attendant, je reste dans une affliction assez démesurée. Je fâche tous mes amis de soutenir contre tant d’orages, voyant ce qui m’en coûte. Je sacrifierai tout pour me soutenir. C’est ma résolution. Ma reconnaissance vis-à-vis nombre d’amis me la dicte, d’ailleurs seul, sans ménage à soutenir. Qu’il me reste la liberté, peut-être me ménagerai-je le simple nécessaire qu’il me faut. Je ne suis pas exigeant de ce côté-là. Mes besoins ne se cumulent pas comme chez tant d’autres.
Je resterai malgré tout toujours prêt à être à vos ordres et en sincérité, Messieurs, votre très humble serviteur,
Malherbe, l’aîné